LE BOUCLIER DE KADATH
N'EST PAS MORT CE QUI SEMBLE À JAMAIS DORMIR ...
Le voyage entre les mondes distants et les étoiles autour desquelles ils tournent exige à moultes reprises une nourriture qu'on trouve dans les entrailles d'un homme. Une fois le lieu du sacrifice déterminé et l'heure fixée, tu ne dois pas faillir ou le courroux de l'Unique, lui qui par cinq fois a révélé aux Hommes, ou à ceux qui leur ressemblent, le Mystère Ultime, et celui de ses serviteurs te condamnera. Car en cette ère de torpeur, ceux qui sont venus du dehors gagnent des forces pendant leur repos en ce monde, attendant un temps où de nouveau leurs pareils feront des cabrioles parmi les étoiles, menant à leur perte tous ceux qui seront nés pendant leur sommeil.
Extrait du Cultus Maleficarum, 1597
Le voyage entre les mondes distants et les étoiles autour desquelles ils tournent exige à moultes reprises une nourriture qu'on trouve dans les entrailles d'un homme. Une fois le lieu du sacrifice déterminé et l'heure fixée, tu ne dois pas faillir ou le courroux de l'Unique, lui qui par cinq fois a révélé aux Hommes, ou à ceux qui leur ressemblent, le Mystère Ultime, et celui de ses serviteurs te condamnera. Car en cette ère de torpeur, ceux qui sont venus du dehors gagnent des forces pendant leur repos en ce monde, attendant un temps où de nouveau leurs pareils feront des cabrioles parmi les étoiles, menant à leur perte tous ceux qui seront nés pendant leur sommeil.
Extrait du Cultus Maleficarum, 1597
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Mes parents ont toujours voulu ce qu'il y avait de meilleur pour moi, m'incitant dès mon plus jeune âge à faire tout mon possible pour comprendre le monde qui nous entoure. C’est ainsi que j'ai développé très tôt un goût prononcé pour une littérature depuis tombée en désuétude, laquelle conjugue les péripéties en tout genre et les progrès scientifiques ; la simple lecture d'un roman de Jules Verne provoquait en moi une excitation capable de me maintenir éveillé des nuits durant. Après une adolescence sans histoire, je fréquentai l’université de New York pour y suivre un cursus de journalisme. C’est là que j’ai rencontré ma future épouse, Moyra, laquelle étudiait les littératures anciennes et étrangères. Pétillante et pleine d’esprit, elle était native de Kingsport, petite ville portuaire sans grande originalité située au nord-est du Massachusetts. C'est elle qui m’a transmis son goût pour la poésie et les légendes des premiers hommes, leurs folklores et leurs cultures.
Mon diplôme en poche, je parcourai le globe plusieurs mois par an, à l'image des héros de mon enfance. C'est à l'occasion d’un reportage en France, quelques semaines seulement après que le conflit qui avait mis l’Europe toute entière à feu et à sang ne prenne fin, que je fis la connaissance d'un petit groupe d'individus qui bouleversa le sens de mon existence. Membres d'un mystérieux ordre hermétique, ils venaient d’horizons diverses, convaincus que le cosmos est empli de créatures misérables et terrifiantes qui attendent patiemment leur heure pour faire irruption sur Terre. Bien décidés à éviter qu’une telle catastrophe ne se produise, ils sillonnaient les continents à la recherche de secrets interdits afin d'accroitre leur savoir, composant avec des panthéons d’entités qui nous sont totalement étrangères ... et qui expliquent pourquoi il m'arrive aujourd’hui encore d’avoir peur d’un simple courant d’air.
Harvey Walters, New York, Janvier 1949
... mais au cours des siècles peut mourir, même la Mort
J'avais soixante-sept ans lorsque la disparition de Moyra me laissa soudainement dans l'isolement le plus complet. Sans enfant, la tristesse et l'ennui m'accablèrent rapidement, si bien que je me rappelais pour me distraire le temps de ces souvenirs déjà forts éloignés, repensant à ces mythes primitifs qui m'avaient hanté si obstinément, aux manuscrits pnakotiques, au culte de Cthulhu, à ces entités extraterrestres, aussi puissantes qu'anciennes ... J'ignore ce que sont devenus mes camarades depuis toutes ces années. J'espère seulement qu'ils sont parvenus à prendre un peu de repos et ce malgré les horreurs auxquelles ils ont été confrontés. Aucun d'entre eux n’a jamais parlé de ce qu'ils ont vécu, ni fait la moindre allusion, mais le mystère attire le mystère et sans que je sache comment, mon nom s’est trouvé à plusieurs reprises associé à divers exploits inexpliqués ; certains triviaux et sans intérêt, d’autres dramatiques et passionnants, et d’autres enfin où j'ai effectivement cru percevoir de manière fugitive les expériences étranges et périlleuses de mes anciens compagnons.
Lorsque je me suis finalement décidé à partager mes souvenirs à propos de ces années passées au côté de ces hommes et de ces femmes qui se sont dressés contre le Chaos rampant, je n'avais imaginé à quel point narrer leurs aventures serait si difficile. Je ne suis ni romancier, ni dramaturge ou nouvelliste, encore moins poète, et je ne prétends avoir aucun style, exceptions faites des techniques et autres réflexes liés à ma longue pratique du métier de journaliste. Et puisque tout commençait le plus souvent par l’appel désespéré d’un oncle disparu, une sombre enquête sur un meurtre étrange ou un reportage sur une vieille maison hantée, quel crédit mes lecteurs pourraient-ils accorder à pareilles histoires, alors même qu’ils n’ont jamais entendu les bruissements infâmes, les coups de feu désespérés et les cris déchirants de leurs compagnons ? Sans doute préfèreront-ils imaginer qu’il s’agit là d’un simple d’un canular. À ces derniers, je ne dirais qu’une chose : je n’attends aucun salut de leur part ; les règles ont été posées il y a des milliards d’années par des atrocités venues d’autres âges et d’autres lieux. Tapies dans l’obscurité, il nous est parfois possible de les entendre, mais rarement de les voir ... à moins que quelqu’un, à l’image de votre obligé, n'apporte la lumière nécessaire pour les distinguer clairement.
Nombreux seront ceux qui me traiteront d'illuminé, mais je sais que la lumière qui nous environne n’est que pure illusion et que le rire démoniaque que j’entends alors même que j’écris ces mots n'est malheureusement pas le fruit de mon seul esprit affaibli. Et alors que des signes toujours plus nombreux annoncent l'arrivée d'une nouvelle conjonction astrale qui, si ma théorie venait à se confirmer, pourrait entraîner sous peu la jeunesse de notre belle nation dans les flammes de l'apocalypse, il est temps de laisser en héritage mes souvenirs avant qu'ils ne tombent dans l'oubli. À tous ceux qui auront décidé de me croire, permettez-moi ces dernières recommandations : si à votre tour vous tentez de retarder l'échéance en affrontant ces monstruosités malignes dont les intentions nous échappent, soyez certains que vous serez un jour ou l'autre confrontés à l’innommable, qu'il y aura des temps difficiles et que nombre d'entre vous tomberont, tandis que d'autres sombreront dans la folie ... pour autant, préférez quoi qu'il arrive la prudence à l'audace et ne doutez jamais de votre résolution.
Mes parents ont toujours voulu ce qu'il y avait de meilleur pour moi, m'incitant dès mon plus jeune âge à faire tout mon possible pour comprendre le monde qui nous entoure. C’est ainsi que j'ai développé très tôt un goût prononcé pour une littérature depuis tombée en désuétude, laquelle conjugue les péripéties en tout genre et les progrès scientifiques ; la simple lecture d'un roman de Jules Verne provoquait en moi une excitation capable de me maintenir éveillé des nuits durant. Après une adolescence sans histoire, je fréquentai l’université de New York pour y suivre un cursus de journalisme. C’est là que j’ai rencontré ma future épouse, Moyra, laquelle étudiait les littératures anciennes et étrangères. Pétillante et pleine d’esprit, elle était native de Kingsport, petite ville portuaire sans grande originalité située au nord-est du Massachusetts. C'est elle qui m’a transmis son goût pour la poésie et les légendes des premiers hommes, leurs folklores et leurs cultures.
Mon diplôme en poche, je parcourai le globe plusieurs mois par an, à l'image des héros de mon enfance. C'est à l'occasion d’un reportage en France, quelques semaines seulement après que le conflit qui avait mis l’Europe toute entière à feu et à sang ne prenne fin, que je fis la connaissance d'un petit groupe d'individus qui bouleversa le sens de mon existence. Membres d'un mystérieux ordre hermétique, ils venaient d’horizons diverses, convaincus que le cosmos est empli de créatures misérables et terrifiantes qui attendent patiemment leur heure pour faire irruption sur Terre. Bien décidés à éviter qu’une telle catastrophe ne se produise, ils sillonnaient les continents à la recherche de secrets interdits afin d'accroitre leur savoir, composant avec des panthéons d’entités qui nous sont totalement étrangères ... et qui expliquent pourquoi il m'arrive aujourd’hui encore d’avoir peur d’un simple courant d’air.
... mais au cours des siècles peut mourir, même la Mort
... mais au cours des siècles peut mourir, même la Mort
Notre récit débute en mai 1918, alors que le prophète de la ruine est déjà caporal, après une longue et angoissante période de bouleversements politiques et sociaux sur lesquels s'est ajoutée la crainte d’un terrible danger comme on ne peut en imaginer que dans les plus atroces fantasmes nocturnes. Je me rappelle, après que le Congrès américain ait voté l’entrée en guerre des États-Unis, que mes concitoyens marchaient le visage blême, préoccupés, en chuchotant des mises en garde et des prophéties que nul n’osait répéter. Puis les événements se sont enchainés de manière démoniaque : les premières troupes américaines sont arrivées en France en juin 1917, avant d’être envoyées sur le front de l’ouest en octobre de la même année, entrainant dans leur sillage quantité de morts et de disparus. Devant tant de barbarie, chacun comprit dès lors que la Terre avait échappé au contrôle des dieux pour passer sous celui d’autres forces, ignorées jusque-là.
Lorsque que le 28e régiment d'infanterie des sergents Sebastian Crane et Vincent Price, jeunes américains engagés volontaires, rejoint la 1e Division d'Infanterie Américaine sur le front de la Somme, cette dernière est stationnée à proximité d'un saillant dans les lignes alliées défendu par deux bataillons de réserve allemands. Ce sera, pour nos futurs investigateurs, le début d'une longue et périlleuse aventure, alors qu’ils tenteront de déjouer les machinations ourdies par un être de destruction et de duplicité, déité aux mille visages dont le travail est à l'œuvre partout, sous-terrain, sous-jacent, mais sans cesse recommencé. Secondé par son plus fidèle serviteur, dont il a corrompu le corps aussi bien que l'âme, et qui, tel un messie rédempteur, prêchera bientôt la création d’un nouvel ordre mondial, ils n’auront d’autre choix que de rejoindre un mystérieux ordre hermétique voué à l’étude de réalités qui vont bien au-delà de notre monde illusoire et de tenter, entourés de leurs nouveaux camarades, d’empêcher l’irrémédiable.
Harvey Walters, octobre 1964
Harvey Walters, New York, Janvier 1949
J'avais soixante-sept ans lorsque la disparition de Moyra me laissa soudainement dans l'isolement le plus complet. Sans enfant, la tristesse et l'ennui m'accablèrent rapidement, si bien que je me rappelais pour me distraire le temps de ces souvenirs déjà forts éloignés, repensant à ces mythes primitifs qui m'avaient hanté si obstinément, aux manuscrits pnakotiques, au culte de Cthulhu, à ces entités extraterrestres, aussi puissantes qu'anciennes ... J'ignore ce que sont devenus mes camarades depuis toutes ces années. J'espère seulement qu'ils sont parvenus à prendre un peu de repos et ce malgré les horreurs auxquelles ils ont été confrontés. Aucun d'entre eux n’a jamais parlé de ce qu'ils ont vécu, ni fait la moindre allusion, mais le mystère attire le mystère et sans que je sache comment, mon nom s’est trouvé à plusieurs reprises associé à divers exploits inexpliqués ; certains triviaux et sans intérêt, d’autres dramatiques et passionnants, et d’autres enfin où j'ai effectivement cru percevoir de manière fugitive les expériences étranges et périlleuses de mes anciens compagnons.
Lorsque je me suis finalement décidé à partager mes souvenirs à propos de ces années passées au côté de ces hommes et de ces femmes qui se sont dressés contre le Chaos rampant, je n'avais imaginé à quel point narrer leurs aventures serait si difficile. Je ne suis ni romancier, ni dramaturge ou nouvelliste, encore moins poète, et je ne prétends avoir aucun style, exceptions faites des techniques et autres réflexes liés à ma longue pratique du métier de journaliste. Et puisque tout commençait le plus souvent par l’appel désespéré d’un oncle disparu, une sombre enquête sur un meurtre étrange ou un reportage sur une vieille maison hantée, quel crédit mes lecteurs pourraient-ils accorder à pareilles histoires, alors même qu’ils n’ont jamais entendu les bruissements infâmes, les coups de feu désespérés et les cris déchirants de leurs compagnons ? Sans doute préfèreront-ils imaginer qu’il s’agit là d’un simple d’un canular. À ces derniers, je ne dirais qu’une chose : je n’attends aucun salut de leur part ; les règles ont été posées il y a des milliards d’années par des atrocités venues d’autres âges et d’autres lieux. Tapies dans l’obscurité, il nous est parfois possible de les entendre, mais rarement de les voir ... à moins que quelqu’un, à l’image de votre obligé, n'apporte la lumière nécessaire pour les distinguer clairement.
Nombreux seront ceux qui me traiteront d'illuminé, mais je sais que la lumière qui nous environne n’est que pure illusion et que le rire démoniaque que j’entends alors même que j’écris ces mots n'est malheureusement pas le fruit de mon seul esprit affaibli. Et alors que des signes toujours plus nombreux annoncent l'arrivée d'une nouvelle conjonction astrale qui, si ma théorie venait à se confirmer, pourrait entraîner sous peu la jeunesse de notre belle nation dans les flammes de l'apocalypse, il est temps de laisser en héritage mes souvenirs avant qu'ils ne tombent dans l'oubli. À tous ceux qui auront décidé de me croire, permettez-moi ces dernières recommandations : si à votre tour vous tentez de retarder l'échéance en affrontant ces monstruosités malignes dont les intentions nous échappent, soyez certains que vous serez un jour ou l'autre confrontés à l’innommable, qu'il y aura des temps difficiles et que nombre d'entre vous tomberont, tandis que d'autres sombreront dans la folie ... pour autant, préférez quoi qu'il arrive la prudence à l'audace et ne doutez jamais de votre résolution.
... mais au cours des siècles peut mourir, même la Mort
Notre récit débute en mai 1918, alors que le prophète de la ruine est déjà caporal, après une longue et angoissante période de bouleversements politiques et sociaux sur lesquels s'est ajoutée la crainte d’un terrible danger comme on ne peut en imaginer que dans les plus atroces fantasmes nocturnes. Je me rappelle, après que le Congrès américain ait voté l’entrée en guerre des États-Unis, que mes concitoyens marchaient le visage blême, préoccupés, en chuchotant des mises en garde et des prophéties que nul n’osait répéter. Puis les événements se sont enchainés de manière démoniaque : les premières troupes américaines sont arrivées en France en juin 1917, avant d’être envoyées sur le front de l’ouest en octobre de la même année, entrainant dans leur sillage quantité de morts et de disparus. Devant tant de barbarie, chacun comprit dès lors que la Terre avait échappé au contrôle des dieux pour passer sous celui d’autres forces, ignorées jusque-là.
Lorsque que le 28e régiment d'infanterie des sergents Sebastian Crane et Vincent Price, jeunes américains engagés volontaires, rejoint la 1e Division d'Infanterie Américaine sur le front de la Somme, cette dernière est stationnée à proximité d'un saillant dans les lignes alliées défendu par deux bataillons de réserve allemands. Ce sera, pour nos futurs investigateurs, le début d'une longue et périlleuse aventure, alors qu’ils tenteront de déjouer les machinations ourdies par un être de destruction et de duplicité, déité aux mille visages dont le travail est à l'œuvre partout, sous-terrain, sous-jacent, mais sans cesse recommencé. Secondé par son plus fidèle serviteur, dont il a corrompu le corps aussi bien que l'âme, et qui, tel un messie rédempteur, prêchera bientôt la création d’un nouvel ordre mondial, ils n’auront d’autre choix que de rejoindre un mystérieux ordre hermétique voué à l’étude de réalités qui vont bien au-delà de notre monde illusoire et de tenter, entourés de leurs nouveaux camarades, d’empêcher l’irrémédiable.
Harvey Walters, octobre 1964
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